Daniella Muallem part en guerre contre la pseudo-science Inspire article

Traduit par Alix Chancerelle et Anne-Charlotte Cloarec. Daniella Muallem raconte à Eleanor Hayes son combat contre les arguments scientifiques trompeurs.

Daniella Muallem
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Comment une biophysicienne s’implique-t-elle dans la lutte contre la pseudoscience? « Comme beaucoup de jeunes scientifiques, la recherche et la science me passionnaient mais je ne savais pas comment m’en servir pour agir directement sur la société » se rappelle Daniella Muallem. « Je voyais circuler des informations erronées ou bien ridicules sur la science ou sur les soi-disant effets d’un produit. Mes collègues et moi nous en plaignions, mais nous n’y faisions rien. »

Jusqu’au jour où elle rejoint l’association Voice of Young Science (VOYS)w1. Mis en place par la fondation caritative britannique Sense About Sciencew2, VOYS est un réseau constitué de scientifiques en début de carrière. Leur but ? Défendre la science en enquêtant sur divers produits qui basent leur promesse marketing sur des fondements scientifiques et rectifier les fausses informations paraissant dans les médias.

« En travaillant avec VOYS, j’ai appris que même en début de carrière, on a un réel statut d’expert. On est donc en bonne position pour dénoncer publiquement les mauvaises pratiques et les promesses pseudo-scientifiques. »

 

Pseudo-science : discipline considérée à tort comme étant basée sur la méthode scientifique.


 

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Daniella s’est engagée lorsque d’autres membres de VOYS et elle ont décidé de contester l’efficacité des produits « détoxifiants ». « Le mot fait scientifique mais il est utilisé pour décrire un grand nombre de produits. Par exemple, il existe des patchs détox, que l’on colle sur la plante des pieds le soir et qui sont censés éliminer les toxines pendant la nuit. Ou encore des fers à lisser détox, des nettoyants visage, des brosses pour le corps…La gamme de produits est très large. »

L’équipe de jeunes scientifiques a contacté les entreprises fabriquant ces produits détox et leur a demandé : « Qu’entendez-vous par détox ? Quelles toxines sont éliminées ? Avez-vous des preuves confirmant vos dires ?».

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About Science

À la surprise de Daniella, les entreprises n’étaient pas du tout préparées à ce genre de questions. « Elles n’avaient aucune preuve à nous présenter. Lorsque nous demandions à voir leur service scientifique, nous constations qu’il n’existait même pas. Et dans certains cas, le commercial de la société finissait même par reconnaître que ses produits n’étaient en rien différents d’un produit non détoxifiant. D’autres personnes ont tout simplement refusé de nous répondre. »

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Daniella et les autres scientifiques de VOYS en ont tiré les conclusions suivantes : « Il est clair que la détox n’a aucune valeur scientifique et qu’il s’agit juste d’un slogan marketing pseudo-scientifique». Leur rapport, qui contient les interviews réalisées auprès des entreprises, a été publié juste après Noël, « quand tout le monde est obsédé par la détox ». La couverture médiatique fut énorme et les jeunes scientifiques donnèrent à cette occasion plusieurs interviews.

Mais n’est-il pas de notoriété publique que ces promesses soi-disant scientifiques sont de véritables inepties ? Daniella n’est pas de cet avis : « Notre expérience a montré que les gens doutent de l’efficacité de ces produits, mais ne savent pas comment l’évaluer. »

Cette étude fut donc bénéfique pour une partie des consommateurs, mais aussi pour Daniella. « Ce que j’ai préféré dans mon travail pour VOYS, c’est de pouvoir mettre mon expérience et mes connaissances au profit du grand public. Ça m’a aussi donné l’occasion de faire partie d’une équipe, ce qui manque parfois dans la recherche. »

En parallèle de son travail de recherche postdoctoral, Daniella continue à jouer un rôle actif au sein de VOYS.

Lorsqu’ils ont entendu parler d’une conférence où était préconisée l’homéopathie comme traitement contre le VIH, le sida, le paludisme et d’autres maladies mortelles en Afrique, les scientifiques de VOYS et elle ont découvert que plusieurs associations conseillaient l’homéopathie comme remède alternatif (et non complémentaire) à la médecine conventionnelle en avançant comme arguments le faible coût du traitement, son efficacité et l’absence d’effets secondaires.

Taux de prévalence du VIH
chez les adultes (de 15 à 49
ans) par pays en 2009.
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UNAIDS; données : UNAIDS

Ils furent particulièrement scandalisés par la position de l’organisation mondiale de la santé (OMS) : « S’abritant derrière des montagnes d’information, ils ont déclaré que « l’inconvénient de l’homéopathie c’est que ça ne marche pas vraiment » mais aussi « son avantage : ce n’est vraiment pas cher ». »

Avec l’aide de Sense About Science, l’équipe de scientifiques a enrôlé des médecins travaillant en Afrique et des experts du VIH et du paludisme, et a écrit une lettre à l’OMS, dont une copie fut envoyée aux médias. « La réponse de l’OMS ne fut pas aussi rapide que nous l’avions espéré mais après avoir insisté pendant quelques semaines nous avons finalement eu une réponse : l’OMS a clairement déclaré que l’homéopathie n’était pas adaptée au traitement des maladies mortelles en Afrique. Nous avons bénéficié d’une énorme couverture médiatique mondiale. »

Inspirée par ces expériences, Daniella s’est engagée avec plus d’ardeur dans la communication scientifique. « J’aime les aspects créatifs de la recherche, le sentiment d’excitation lorsque mes idées se trouvent être bonnes et j’aime être absorbée dans mon projet, mais la nature de la recherche académique nécessite de se concentrer sur une petite partie de la science. On se sent parfois déconnecté de la vie courante. Mon expérience avec VOYS m’a fait réaliser que malgré mon amour pour la recherche, je préférais me concentrer sur l’impact de la science dans la vie quotidienne des individus. J’ai aussi réalisé à quel point j’aime interagir avec des personnes d’horizons différents.»

Représentation en réseau des
particules de VIH immatures.
La reconstruction en 3D
montre le réseau de
protéines Gag immatures du
VIH qui évolue pour former
l’enveloppe de protéines du
virus infectieux

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Briggs / EMBL

En 2010, elle se jette à l’eau et change de carrière, de pays et même de continent. Elle travaille aujourd’hui en Israël en tant qu’analyste dans le secteur des écotechnologies : elle fait des recherches et rédige des comptes-rendus sur les compagnies qui utilisent les technologies améliorant l’environnement, telles que les énergies renouvelables ou l’efficacité énergétique.

Bien que ce travail semble être à mille lieues de celui qu’elle fournissait en laboratoire, Daniella a un autre avis : « J’utilise toutes les compétences et les connaissances que j’ai développées au cours de ma carrière scientifique, telles que les méthodes de recherche, l’analyse d’informations, la mise à l’écrit et l’exposition de mes recherches. J’utilise aussi mon bagage en biologie et en physique pour comprendre les technologies et les techniques développées dans les nouvelles branches de la biotechnologie et de l’écotechnologie. Grâce à ces travaux, je me rapproche un peu plus chaque jour du point de rencontre entre la science et la technologie et je prends conscience des bénéfices de la science sur notre santé et sur l’environnement ».

Le moustique anophèle
albimanus
, un vecteur du
paludisme

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Library

Malgré la distance, Daniella reste en contact avec VOYS. Ce programme encourage les jeunes scientifiques, qu’ils soient doctorants ou post doctorants, à s’attaquer aux revendications scientifiques douteuses. Cependant, d’après Daniella, « il n’est pas nécessaire d’être un scientifique pour demander des explications. En posant les bonnes questions, nous pouvons tous lutter contre la pseudo-science. Si quelque chose vous paraît incorrect, demandez ! »

Daniella conseille aux étudiants de travailler en groupe de préférence, car, à en croire son expérience, c’est plus motivant. Et même si au final on ne passe pas à la télévision, il y a encore beaucoup à faire. « Si vous faites en sorte que votre école s’intéresse à la lutte contre la pseudoscience et qu’elle prenne conscience qu’il est important que les revendications scientifiques soient avérées, c’est déjà un grand pas. Vous pourriez organiser un débat en classe, ou faire venir des intervenants extérieurs dans votre établissement scolaire, ou encore faire part de vos expériences dans le journal local ou celui de votre école. »

À Science in School, nous sommes impatients de savoir ce que vous et vos étudiants avez réalisé.

Alors qu’en est-il des projets de Daniella pour la suite? « La réponse est simple : je ne sais pas. Le fait d’avoir une formation scientifique ouvre de nombreuses portes, et il y a tellement de chemins différents qu’il est difficile d’en choisir un. »


Web References

  • w1 – Pour en savoir plus sur le programme Voice of Young Science (VOYS), rendez-vous sur: www.senseaboutscience.org.uk/voys
    • Pour en apprendre plus sur le dossier détox, sur les recherches en homéopathie et sur la couverture journalistique dont ils ont bénéficié, rendez-vous sur le site web de Sense About Sciencew2 ou cliquez directement sur ce lien: http://tinyurl.com/3hlvmah

    • Bon nombre de recherches menées par VOYS, y compris celle-ci, sont regroupées dans le guide, There Goes the Science Bit: A Guide to Standing up for Science, téléchargeable à partir du site web de Sense About Sciencew2 or via the direct link: http://tinyurl.com/3vryo3x

  • w2 – Sense About Science est une organisation caritative qui travaille avec des scientifiques et des groupes de bénévoles pour réagir face à une présentation déformée de la science et des preuves scientifiques sur des problèmes qui interpellent notre société. Pour en savoir plus, ou pour vous impliquer, cliquez sur ce lien: www.senseaboutscience.org.uk

Author(s)

Eleanor Hayes, rédactrice en chef de Science in School, a étudié la zoologie à l’université d’Oxford au Royaume-Uni et obtenu un doctorat en écologie de l’insecte, avant de travailler quelques temps à l’administration de l’université, puis dans la publication scientifique en Allemagne, dans une compagnie de bioinformatique dans un premier temps, et pour une société savante par la suite. Enfin, en 2005 elle intègre le Laboratoire européen de biologie moléculaire pour lancer Science in School.

Review

Cet article permet de mettre les gens en garde : ce qui paraît scientifique ne l’est pas forcément ; il montre ainsi que l’esprit scientifique, et donc l’éducation scientifique, est vital.

Lire cet article serait un excellent point de départ pour un projet interdisciplinaire avec des classes allant de la 2nde à la terminale (composées d’élèves âgés de 15 à 18 ans). Par exemple, les professeurs de biologie et de chimie, ainsi que leurs élèves, pourraient étudier ensemble des « slogans » scientifiques utilisés pour faire la promotion de produits (par exemple dans l’industrie cosmétique ou alimentaire).

L’article pourrait aussi être utilisé pour lancer un débat. Par exemple :

Cet exercice devrait encourager les élèves à réaliser qu’un certain niveau de connaissances est nécessaire pour détecter les publicités mensongères. C’est pourquoi, même les personnes qui ne font pas de carrière scientifique devraient avoir certaines connaissances scientifiques (ou avoir l’opportunité d’en acquérir).

  1. Daniella Muallem a dit : « Il n’est pas nécessaire d’être un scientifique pour demander des explications. En posant les bonnes questions, nous pouvons tous lutter contre la pseudoscience. Si quelque chose vous paraît incorrect, demandez ! » Êtes-vous d’accord avec ces propos ? Justifiez.
  2. Daniella Muallem a déclaré : « La science a un impact sur la vie de tous les jours, sur tout le monde » et peut être bénéfique « à la santé et à l’environnement». Faites une liste d’exemples et expliquez en quoi ils confirment cette déclaration ; essayez de choisir des exemples provenant de divers domaines scientifiques.

Betina da Silva Lopes, Portugal

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