Ces coquillages qui révèlent les secrets du climat Understand article

Traduit par Maurice Cosandey. Les coquillages marins ne sont pas que des jolis objets. Ils aident aussi les scientifiques à connaître le climat dans le passé.

Les coquillages, qui sont les boucliers protecteurs des mollusques marins, ont des ressemblances avec les arbres. Les troncs d’arbre et les coquilles croissent en faisant des anneaux de croissance pour les uns et des stries dites incréments pour les autres, et leur structure varie avec l’environnement. De plus, comme les arbres, les coquilles vivent longtemps, et enregistrent des données qui recouvrent plusieurs années.

Par exemple, le quahog océanique (Arctica islandica) peut vivre 500 ans. En général, les bivalves existent depuis plus de 500 millions d’années, et se sont fossilisés dans les roches sédimentaires.

Bernd Schöne étudiant une
coquille à la loupe

Photo Bernd Schöne

La sclérochronologie est l’étude de ces stries de coquillages. Bernd Schöne, paléontologiste de l’Université de Mainz, Allemagne, a étudié ces stries pendant 15 ans, un peu comme on étudie les anneaux concentriques du bois. Il les considère comme des archives uniques des climats passés. “Leur mode de croissance depend des conditions de l’environnement, comme la température, la qualité de l’eau et la nourriture”, dit-il. “leur étude peut nous fournir des informations sur leurs conditions d’existence à l’époque.

Retrouver les changements environnementaux

Comme les os et les dents, les coquillages sont constitués de carbonate de calcium CaCO3 et de grosses molecules organiques comme les protéines. Le carbonate de calcium forme les dépôts inorganiques qui apparaissent dans les machines à laver et les bouilloires sous forme de tuf. Dans les coquillages, il se forme des cristaux de calcite ou d’aragonite que le mollusque met en forme et agglomère couche après couche avec des polymères protéiniques, à la pointe de leurs coquilles.

Mais la croissance de la coquille n’est pas continue.  “Quand la temperature ou la qualité de l’eau baisse, le mollusque fabrique moins de matière, et une ligne apparaît” explique Bernd. “Quand les conditions s’améliorent, la croissance reprend”. Il en résulte une suite de lignes de croissance (croissance lente) séparées par des zones claires dites incréments (croissance rapide). Cela constitue une sorte de calendrier. Si la date de la mort du mollusque est connue, on peut remonter le temps, et dater les autres lignes, donc connaître l’âge du mollusque.

Structure du carbonate de
calcium

Photo Nicola Graf

Mais on peut aussi analyser la composition chimique de ces stries, et en déduire d’autres informations. L’oxygène existe sous trois formes différentes (isotopes) : l’oxygène-16, l’oxygène-17, et l’oxygène-18, qui diffèrent entre eux par le nombre de neutrons dans le noyau. Dans l’eau froide, il y a plus d’oxygène-18 que dans l’eau chaude. , et c’est pareil dans les coquilles. En analysant la teneur en oxygène-18 présent dans les coquilles, les scientifiques peuvent déterminer la température de l’eau au moment où le coquillage s’est formé.

Oui, mais comment peut-on savoir quand le coquillage s’est formé ? Pour le savoir, il faut compter le nombre de lignes, comme on le fait avec les arbres. Mais les coquilles ont un avantage par rapport aux arbres : ils forment des anneaux journaliers et non annuels comme les arbres. Ceci donne une image bien plus détaillée des conditions de leur croissance. Et comme des spécimens différents de la même espèce enregistrent les conditions expérimentales de la même manière, leurs enregistrements individuels peuvent être combinés dans une chronologie globale des événements climatiques. Ce calendrier peut remonter dans le temps bien avant l’apparition des premières mesures climatiques faites par les hommes.

En utilisant ainsi les coquillages, Bernd et son équipe sont parvenus à determiner le climat de l’Océan Atlantique pendant ces 500 dernières années. Ils ont ainsi montré que la Mer du Nord, s’est réchauffée de 1 degré dans les 150 dernières années. De plus, l’analyse des coquilles d’Arctica islandica a permis de déterminer comment la teneur en dioxyde de carbone et la température des océans a évolué au cours des milliers d’années. Les événements exceptionnels comme le Petit Âge Glaciaire de 1300 à 1850 et le phénomène dit El Nino y sont clairement observables.

Que peuvent nous apporter les mollusques dans l’avenir

Un spécimen de Clinocardium
nuttallii,
don’t les lignes de
croissance les plus évidentes
sont indiquées, ce qui
suggère un âge de trois ans

Photo tirée de
www.asnailsodyssey.com

Si les mollusques peuvent nous aider à reconstruire notre climat dans le passé, peuvent-ils nous aider à prédire l’avenir ? Bernd estime que les prédictions climatiques sont du domaine des climatologistes, mais que l’étude de la croissance des coquilles peut prédire la relation entre le climat futur et la croissance de coquillages. Comme cette croissance dépend des conditions environnementales, Bernd pense qu’un changement de climat pourrait perturber la croissance future des coquillages.

Par exemple, Bernd et ses collègues ont découvert que la croissance des coquillages depend de la température de l’eau. Chaque espèce est adaptée à son propre domaine de température. Leur métabolisme ne se développe que dans ce domaine. Si la température se situe hors de ce domaine, leurs coquilles cessent de croître.

L’accroissement du dioxyde de carbone dans l’atmosphère entraîne une augmentation de l’acidité des océans, donc une diminution du pH, et un risque pour les mollusques. Le pH est actuellement de 7.9 à 8.0. Mais il pourrait décroître de 0.1 à 0.3. Si cette tendance continue, l’eau deviendrait de plus en plus acide, et quelques espèces pourrait avoir de la peine à former leurs coquilles. Cela ne menace pas nécessairement la survie de ces animaux. Il y a trop peu d’études qui ont été faites, concernant l’effet du pH  sur la vie des mollusques, et ces études donnent des résultats contradictoires. Mais un changement de climat pourrait favoriser une espèce par rapport aux autres.

Même si les mollusques réagissent aux changements de leur environnement, le groupe s’est très bien adaptée à l’eau tant salée que douce. Ils forment le second plus important groupe d’invertébrés sur Terre. Il y en a même qui vivent dans des milieux très acides, comme près des volcans sous-marins. Cela pourrait fournir des pistes pour comprendre les conséquences futures de l’acidification des océans.


Resources

  • Les propriétés physico-chimiques de l’océan sont décrites sur le site de Tara expedition. On y trouve des idées d’activités à faire en classe à ce sujet.
  • L’accord international sur le climat signé en décembre 2015 pendant la COP21 pourrait avoir un effet sur l’acidification des océans.

Author(s)

Anne Korn est une journaliste scientifique freelance et auteur de blogs.  Elle écrit des articles de science, de politique, de droits civiques et de culture. Voir son Twitter: @morethanannie.

Review

Cet article aide les étudiants à réaliser que les mollusques, comme tout être vivant, sont des systèmes ouverts, qui interagissent constamment avec leur environnement. Il explique comment se forment les coquilles des mollusques, et comment leur étude influence la recherche en matière de climat. Les maîtres secondaires peuvent aussi utiliser cet article pour illustrer les interactions existant entre les divers sous-systèmes terrestres : biosphère, géosphère, hydrosphere et atmosphere. Voici quelques thèmes potentiels de discussion :

  • Comment cette recherche peut-elle illustrer les interactions entre la biosphère, la géosphère, l’hydrosphère, et l’atmosphère ?
  • Comment va probablement varier le rapport Oxygène 16/18 dans l’eau océanique de l’avenir ? Expliquer votre raisonnement.
  • Discuter la valeur de la phrase de Charles Darwin, auteur de la théorie de l’évolution : Il semble que les mollusques résisteront aux changements de climat

Betina Lopes, Portugal

License

CC-BY-NC-ND

Download

Download this article as a PDF