Résoudre le mystère de la formation de notre planète Understand article

Traduit par Maurice Cosandey. L’étude de la composition chimique de certaines roches très anciennes de notre planète a révolutionné nos connaissances sur la formation des continents.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de Reto
Stöckli, Nazmi El Saleous and
Marit Jentoft-Nilsen, NASA
GSFC

Il arrive qu’un infime fragment de roche contienne des secrets bien cachés. Nos analyses de certaines roches d’Afrique a révélé que les continents actuels pourraient bien s’être formés un milliard d’années plus tôt que ce que l’on croyait.

Notre globe a bien changé avec le temps

La Terre s’est formée il y a environ 4.6 milliard d’années, à partir d’un nuage moléculaire géant appelé la nébuleuse solaire. La gravité a condensé cette matière en une forme sphérique, la Terre, avec les matières les plus lourdes au centre. Les matières légères ont formé un manteau à l’extérieur dont la partie rigide, ou lithosphere, a formé des plaques qui dérivent au-dessus de la partie la plus malléable du manteau, l’asthénosphère (Figure 1).

Figure 1 : Au dessous de la croûte océanique (A) et de la croûte continentale (B) se trouve le manteau, lui même divisé en manteau supérieur (C) et en manteau inférieur (D) aussi appelé asthénosphère. La lithosphere (E) est formée de la croûte et du manteau supérieur.

Les mouvements de la plaque tectonique peuvent créer des zones de subduction, où une partie de la lithosphere (E) glisse sous l’asthénosphère (D). La subduction est un processus lent qui se produit à haute pression (environ 10 kbar), à une température de moins de 500°C, et avec un gradient thermique de moins de 15°C/km.
Image reproduite avec l’aimable autorisation de Nicola Graf

L’organisation de ces plaques a changé au cours du temps (Figure 2). Il y a 2.5 à 4 milliards d’années, durant ce qu’on appelle l’ère archaïque, la lithosphere était formée de plaques plus petites que les continents actuels. Plus tard, durant l’ère protérozoïque, les plaques se sont jointes pour former un vaste supercontinent dit Rodinia, il y a 1 milliard d’années, selon les estimations traditionnelles. Ensuite, les continents ont commencé à se séparer et à dériver, pour former peu à peu le globe actuel. Cette dérive finale est connue aujourd’hui sous le nom de tectonique des plaques. Il est communément admis qu’elle a commencé il y a environ 900 millions d’années.

Figure 2 : Evolution de la lithosphère de l’ère archaïque à aujourd’hui :

A) Pendant l’ére archaïque, il y a don centre 4 et 2.5 milliards d’années, la lithosphere était formée de nombreuses petites plaques.

B) Il y a environ 1 milliard d’années, pendant l’ère protérozoïque, les plaques se sont probalbement rejointes, pour former une grande masse continentale, la Rodinia :
1. Sibérie ; 2. Australie ; 3. Antarctique de l’est ; 4. Laurentia ; 5. Baltica ; 6. Amazonie ; 7. Afrique de l’Ouest ; 8. Bassin du Congo ; 9. Inde.

C) Les continents ont commencé à se disloquer et à se réunir à la fin de l’ére protéozoïque il y a environ 900 millions d’années. Puis. ils ont lentement évolué jusqu’à former le globe actuel.
Images reproduites avec l’aimable autorisation de Hervé Martin (A, C), Kieff / Wikimedia Commons (B)

Lors de l’avancement de ce processus, il arrive que certaines plaques s’entrechoquent. Si l’une d’entre elles s’enfonce sous l’autre, cela crée le phénomène dit de subduction (Figure 1). Malgré la lenteur du phénomène, la pression peut monter à 10 kbars, mais la température reste à moins de 500°C, et le gradient thermique à moins de 15°C par kilometre.

Figure 3 : Bassin de
Greenstone, dans la region
d’Essakane au Nord-Ouest
du Burkina Fasso. On voit au
premier plan des roches
volcaniques faiblement
metamorphoses dites
basalte.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de
Lenka Baratoux

Tester l’âge de roches africaines

Initialement, nous n’avions pas pour but d’étudier la tectonique des plaques. Nous voulions plutôt étudier le mode de formation des roches métamorphiques vieilles de 2 milliards d’années. Nous ne nous doutions pas que notre travail remettrait en cause la tecctonique des plaques, qui est sensée n’avoir commencé qu’un milliard d’années plus tard.

Nous avons commencé notre étude par la visite de plusieurs centaines de sites géologiques d’Afrique (Figure 3) Nous avons prélevé des échantillons. de roches qui avaient subi une métamorphose, c’est-à-dire un changement de type de minéralisation, il y a 2 milliards d’années. L’étude comparée du métamorphisme des roches pendant cette période nous a montré que leur formation avait dû se produire sous basse pression (moins de 5 kbar) et à des temperatures comprises entre 200°C et 700°C.

Figure 4 : Constitution
chimique d’une roche
métamorphique contenant
du quartz (A), du rubis (B),
de la phengite (C), de la
chlorite (D) et des oxydes de
fer (Ox). Cette image a été
prise au ESRF avec un
faisceau X très intense.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de
Vincent de Andrade

Nous avons ensuite soumis nos échantillons à l’analyse par microsonde. Cela inclut des techniques allant de la microscopie à l’imagerie électronique par rétro-diffusion.électronique. Ceci permet de reconnaître la présence d’éléments lourds, qui dispersent bien les électrons, alors que les éléments légers ne le font pas. Nos analyses de constitution chimique nous ont aussi montré où se trouvait tel minéral particulier.

Figure 5 : Constitution
chimique fine montrant trois
types d’oxydes de fer : Ox1,
qui est pauvre en Fe3+ ; Ox3,
qui est riche en Fe3+ ; et Ox2,
qui a des niveaux
intermediaries en Fe3+. Cette
image a été prise au ESRF
avec un faisceau X très
intense.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de
Vincent de Andrade

Nous avons aussi fait des expériences avec l’appareil dit European Synchrotron Radiation Facility (ESRF ; voir la boîte) pour comprendre la structure fine de nos échantillons. Les rayons X émis par cette machine sont des millions de fois plus intenses que ceux d’une machine d’hôpital, ce qui permet d’observer des détails qu’on ne pourrait jamais voir avec une machine à rayons X ordinaire.

En utilisant des tranches de roches très fines, nous avons vu que ces roches contenaient un mélange de quartz, de rubis, de chlorite, d’oxydes de fer et de phengite (Figures 4 et 5). Ceci va nous permettre de savoir comment ces roches ont été formées.

Pour interpréter nos résultats, nous avons combiné les résultats de différentes analyses chimiques. Par exemple, nous avons d’une part déterminé le rapport H2O:CO2 du liquide qu’on trouve dans les inclusions à l’intérieur du quartz, et mesuré le rapport Fe3+:Fe2+ des roches (Figure 5). Il y a d’autre part plusieurs chlorites (de fer ou de magnésium) et plusieurs phengites (de fer et de magnésium). Le proportion de telle ou telle chlorite ou phengite dans la roche dépend de la température, de la pression, et aussi de l’environnement chimique (rapport H2O:CO2, et rapport Fe2+:Fe3+) au moment de la formation de la roche. Si on connaît ces différents rapports d’une part et la composition de la roche d’autre part, on peut en déduire la pression et la température exacte qui régnait dans la roche au moment où elle s’est formée.

Où nous allons révolutionner la tectonique des plaques

Ces calculs ont montré que les roches de l’Afrique de l’Ouest avaient une teneur en chlorite et en phengite qui ne pouvait provenir que d’un processus à haute pression (10 kbars) et basse temperature (< 500°C). Ces conditions ne se trouvent que dans les processus de subduction. Comme les roches que nous avons étudiées dataient de plus de 2 milliards d’années, cela signifie que la tectonique des plaques existait déjà à l’époque, et donc au moins 900 millions d’années avant les estimations communément admises jusque là.

Notre découverte a changé la compréhension de la géodynamique terrestre.. Quand donc la tectonique des plaques a-t-elle commencé ? Et est-ce que ces dislocations ont eu lieu partout ? Pour tenter de résoudre ces questions, il faudra analyser d’autres roches aussi âgées ou plus anciennes encore. Par exemple, nous envisageons d’aller à Yilgarn Craton en Australie, et à Barberton en Afrique du Sud, pour analyser la teneur en chlorite et en phengite. des roches qui s’y trouvent.

Ce qu’est l’ESRF

Le Centre européen de radiation synchrotron (ESRFw1) contient l’une des sources de rayons X les plus intenses du monde. Des milliers de scientifiques y accourent chaque année du monde entier pour y effectuer des expériences de physique, chimie. biologie, médecine et paléontologie. L’ESRF est un member de l’EIROforumw2, qui édite Science in School.

Situé au pied des Alpes
françaises, le Centre
Européen de Radiation
Synchrotron ESRF produit
des faisceaux de rayons X
capable d’étudier la structure
de la matière. Un synchrotron
est une sorte d’accélérateur
circulaire de particules. A
l’ESRF, la radiation
synchrotron voyage à haute
vitesse autour d’un énorme
anneau.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de Ginter
/ ESRF

 

Remerciements

Les auteurs aimeraient remercier Dominique Comuéjols, du Département de communication de l’ESRF, pour l’aide apportée pour préparer et traduire cet article.


Web References

  • w1 – En savoir plus sur l’ESRF.
  • w2 – Le EIROforum est issu de la collaboration des huit plus grandes organisations gouvernementales et internationales de recherche scientifique, qui ont mis en commun leurs ressources, leurs installations et leur expertise pour soutenir la science européenne. Parmi ses activités éducatives, EIROforum publieScience in School.

Resources

Institutions

Author(s)

Jérôme Ganne est à la tête d’un programme de recherche à l’Insitut de recherche pour le développement (IRD) dans le GET Lab de l’Université de Toulouse III. Ses recherches se focalisent sur les processus de formation et de disparition des chaînes de montagne. En collaboraation avec l’IRD, il dirige une équipe de chercheurs à l’Université Cheikh Anta Djop de Dakar, Sénégal. Il enseigne aussi dans plusieurs universities d’Afrique occidentale.

Après avoir obtenu son doctorat en Sciences de la Terre, Vincent de Andrade a été rattaché au Centre Européen de Radiation Synchrotron ESRF. En 2010, il a rejoint la Source Nationale de Radiation Synchrotron-II au Laboratoire National de Brookhaven, USA, pour y construire un faisceau spectroscopique capable d’analyser des échantillons microscopiques. Il s’est specialisé dans la représentation spatiale des géomatériaux hétérogènes complexes, afin de mieux comprendre leur genèse et leurs transformations.

Review

Cet article traite de la découverte récente de deux scientifiques en matière de tectonique des plaques. Les auteurs expliquent, dans un style clair et concis, comment leurs recherches interfèrent avec les bases théoriques de la tectonique des plaques, en se focalisant sur l’Histoire de la Terre et sur les questions que leurs découvertes soulèvent.

En ma qualité de maître de sciences, je trouve l’article intéressant pour la raison suivante :

  • Il traite d’une période géologiue qui est rarement abordée dans les manuels scolaires.
  • Il donne un apercu intéressant sur la genèse de la tectonique des plaques.
  • Il fournit des détails sur la méthodologie et sur l’équipement utilisé.
  • Il constitue un exemple frappant de la méthode scientifique.

Je recommande cet article aux maîtres secondaires qui aimeraient promouvoir la géologie et la recherché scientifique en général. Il fournit une information de base susceptible d’éveiller l’intérêt des élèves, avant d’aborder en classe des sujets aussi difficiles que la mineralogy et la tectonique des plaques.

Ce texte offre de multiples liens non seulement vers les sciences de la Terre (Histoire de la Terre, minéralogie, cycle des roches, géochimie, techniques d’investigation, mines d’or), mais aussi vers la chimie (oxydes de fer, réaction redox) et la physique (rayons X, radiation synchrotron, microscope à balayage électonique, pression, température et changements de phase). De plus il constitue une excellente occasion de faire intervenir l’Histoire dans la recherche scientifique.

Etant donné le langage dans lequel il est écrit, cet article peut donner lieu à des exercices de compréhension, comme :

  1. Les minéraux étudiés dans ce rapport ont été formés dans les conditions de :
    1. Haute pression (10 kbar) et basse température (moins de 500 °C)
    2. Basse pression (5 kbar) et haute température (plus de 700 °C)
    3. Basse pression (5 kbar) et température comprise entre 200° et 700 °C
    4. Haute pression (10 kbar) et température comprise entre 200 et 700 °C.
  2. La composition des différents types de chlorite et de phengite depend de :
    1. Le rapport de H2O sur CO2
    2. Le rapport du Fe2+ sur Fe3+
    3. La température et la pression de formation
    4. Tous les facteurs précédents.

Giulia Realdon, Italie

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