Un commutateur neural de la peur Understand article

Traduit par Michael ESNAULT. Lorsque nous sommes effrayé par quelque chose, doit-on s'immobiliser de peur ou faut-il chercher à comprendre ? Sarah Stanley nous révèle comment les scientifiques du laboratoire européen de biologie moléculaire cherchent à comprendre les mystères du…

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Fuir, se battre ou être paralysé de peur ? Pour un animal envahi par la peur, c’est une question primordiale. Sa réaction dépend le plus souvent de l’amygdale, nichée au plus profond du cerveau, qui fonctionne comme la plateforme principale d’analyse d’émotion. Chez la souris comme chez l’homme, elle conditionne notre façon de réagir à certains types de peur et nous aide à construire des souvenirs à long terme de nos expériences de peur. Cependant, nous en savons très peu sur la façon dont les cellules de l’amygdale communiquent avec les autres cellules du cerveau dans l’élaboration des comportements spécifiques induit par la peur.

Une étude récente comble cette lacune de connaissance, grâce au travail innovateur de scientifiques du laboratoire européen de biologie moléculairew1 (LEBM) de Monterotondo et de GlaxoSmithKlinew2 à Vérone en Italie. Les scientifiques ont mené des recherches plus particulièrement sur un des différents types de peurs traité par l’amygdale. Ils ont utilisé de nouvelles techniques pour comprendre les interactions entre les zones du cerveau impliquées dans les interactions de ce type spécifique de peur. Dans le cadre de leurs travaux, ils ont identifié un commutateur qui permet le passage entre deux réactions différentes de peurs : la paralysie induite par la peur et, de façon surprenante, une alternative à la fuite, au combat ou la paralysie, connue sous le nom d’évaluation active des risques. Cette réaction active implique des comportements tels que se cabrer, creuser et explorer.

Les souris ayant été conditionnées à associer un son avec un choc désagréable sont paralysées de peur à l’écoute de ce son, même si aucune douleur ne leur est infligée. On sait que les neurones connus sous le nom de cellules de type 1 que l’on trouve dans l’amygdale contrôlent la réaction de paralysie. Lorsqu’on empêche les cellules de type 1 d’envoyer les signaux aux autres cellules, les souris ne sont plus paralysées par la peur. Mais, il semble que les neurones de type 1 sont bien plus que de simples commutateurs on/off.

Dans le cadre d’une approche novatrice faisant appel à la pharmacologie et la génétique, les scientifiques de LEBM ont conçu des souris chez lesquelles les cellules de type 1 ont été inhibées sans que les autres cellules aient été perturbées. Les souris ont été conçues afin de produire des protéines sensibles à certaines molécules (autrement dit des récepteurs) exclusivement dans leurs cellules de type 1. Lorsque l’on inocule cette molécule (substance) aux souris, elle se lie aux récepteurs, déclenchant des réactions chimiques qui perturbent la charge électrique des cellules. Ainsi, ces neurones ne peuvent plus envoyer de signaux électriques aux régions du cerveau environnantes.

Cornelius Gross
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Avant traitement, les souris avaient été conditionnées à craindre un son particulier. Après l’inhibition de leurs cellules de type 1, elles ont été soumises à ce son puis leurs comportements ont été observés et analysés.

“Lorsque nous avons inhibons ces neurones, je n’ai pas été surpris de constater que les souris n’étaient plus paralysées par la peur, car nous pensions que cette paralysie était contrôlé par l’amygdale. Mais, en revanche, nous avons été surpris par toutes les autre façons dont elles ont réagi, comme se cabrer et d’autres comportements d’évaluation du risque » nous dit Cornélius Gross, qui a mené la recherche au LEBM. « il semble que nous n’avions pas bloqué la peur, mais juste modifié leurs réactions, d’une stratégie d’adaptation passive à une stratégie active. Ce n’est pas du tout ce que nous pensions que faisait cette partie de l’amygdale.

Afin de mieux comprendre les connections entre les cellules du cerveau, le réseau neural, qui sont impliqué dans le basculement de comportements de peur passif en comportements de peur actifs, les scientifiques ont étudié l’activité de différentes régions du cerveau en utilisant un type de scanner cérébral appelé imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Dans le cas de petits animaux tels que les souris, l’IRMf utilise au niveau local le volume sanguin comme un indicateur de l’activité cérébrale : plus il y a de sang dans une zone particulière du cerveau, et plus ces neurones sont actifs. Cette étude est la première à utiliser l’IRMf comme moyen de cartographier le réseau neural des souris, en utilisant une nouvelle technique développée par le scientifique Bifone Angelo et son équipe de GlaxoSmithKline.

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Le scanner cérébral a donné un autre résultat inattendu. Auparavant, les scientifiques pensaient que l’amygdale gérait les comportements de peur en relayant simplement les informations vers le tronc cérébral qui relie le cerveau à la moelle épinière. Mais Cornelius, Angelo et leurs collègues ont découvert que chez les souris dont les cellules de type 1 avaient été bloquées, la couche externe du cerveau (le cortex) était très active, indiquant qu’il joue aussi un rôle dans la façon dont les souris réagissent à la peur. L’activité a été également observée dans une région du cerveau appelée le cerveau antérieur basal cholinergique, qui est connue pour son influence sur l’activité du cortex.

Comme tous les scanners cérébraux, l’IRMf nécessite une immobilisation parfaite du sujet, si bien qu’il ne peut être réalisé que sur des souris ayant été préalablement anesthésiées. Mais les scientifiques ont souhaité confirmer le lien entre le cortex et les comportements de peur chez des souris conscientes. Comme ils n’ont pas pu observer l’activité du cerveau chez des souris éveillées et donc en capacité de présenter un comportement de peur, les scientifiques ont choisi une approche différente. Ils ont utilisé de l’atropine afin de bloquer l’activité du cortex chez des souris dont les cellules de type 1 avaient été inhibés et ont constaté que les animaux ne montraient plus de comportements d’évaluation des risques.

Ainsi, les scientifiques en déduisent que l’amygdale inhibe normalement le cerveau antérieur basal cholinergique, tout en indiquant au tronc cérébral de contrôler la réaction passive de peur : la paralysie induite par la peur (voir image ci-dessous, A). Cependant, lorsque les neurones de type 1 sont bloqués, l’amygdale libère son emprise sur le cerveau antérieur basal cholinergique, conduisant à l’activité du cortex et à une réaction active de peur : l’évaluation des risques (voir image ci-dessous, B).

Lorsque les souris entendent un son auquel elles ont été conditionnées de telle sorte qu’elles l’associent à un choc déplaisant, l’amygdale est activée et relaie l’information au tronc cérébral, paralysant l’animal de peur (A).
Image reproduite avec l’aimable autorisation de Nicola Graf, Cornelius Gross et Marlene Rau

Cependant, chez les souris, dont les neurones amygdaliens de type 1 ont été inhibés, ces même-neurones n’inhibent plus les cellules amygdaliennes de type 2 environnantes. Les neurones de type 2 activent maintenant le cortex via le cerveau antérieur basal cholinergique en bloquant la réaction de paralysie et en facilitant, à la place, l’évaluation des risques (B)
Image reproduite avec l’aimable autorisation de Nicola Graf, Cornelius Gross et Marlene Rau

« Il s’agit là d’une puissante démonstration de la capacité de l’IRM fonctionnelle à identifier les circuits du cerveau impliqués dans des tâches complexes, comme le traitement des émotions et le contrôle des réactions comportementales », dit Angelo, actuellement à l’Institut Italien de Technologiew3 à Pise.

Dans l’ensemble, les résultats de l’éventail des techniques utilisées chez la souris, pour étudier la réaction de paralysie lié à la peur, indiquent que l’amygdale joue un rôle plus complexe dans le traitement de la peur qu’on ne le pensait jusque là. Au lieu de se contenter de transmettre des informations sur les menaces externes, l’amygdale prend des décisions sur la façon de réagir.

Il est important de mentionner que le type de peur étudié dans cette étude, la peur conditionnée par un choc douloureux, est très particulier . Les résultats ne sont pas forcément applicables aux réactions comportementales pour d’autres types de peur chez la souris.

« Il existe de nombreux circuits parallèles de peur qui gèrent les différents types d’informations liées à la peur. Par exemple, une partie du cerveau [de la souris] est souvent utilisée pour traiter la peur ressentie face à un prédateur, comme le chat, tandis qu’une autre partie réagit plus généralement au comportement agressif d’une autre souris, » nous dit Cornelius. « Nous pensions qu’il y avait un circuit basique traitant de la peur, qui était soit allumé ou soit éteint, mais cela ne semble pas être le cas. »

En outre, les scientifiques ne sont pas encore certains que les souris sauvages aient des comportements d’évaluation de risques en réaction à des stimuli menaçants. L’inhibition des cellules de type 1 a été réalisée dans cette étude de façon artificielle, et il n’est pas certains qu’il y ait des situations où les neurones soient naturellement inhibés, conduisant les souris à analyser, au travers de comportements d’investigation, la nature de la menace perçue.

Si la réponse active se trouve naturellement chez la souris, quels types de signaux sensoriels externes sont nécessaires pour l’activer? Des études antérieures ont montré que les animaux situés plus loin d’une menace perçue ont tendance à être paralysé par la peur plutôt que de courir ou de se battre. Mais les scientifiques ne peuvent pas se prononcer quant à savoir si la probabilité d’une réaction d’évaluation des risques actifs est fonction de la distance. Cornelius souligne qu’il est important de ne pas considérer que l’évaluation des risques est utilisée comme substitution à la paralysie de peur dans une situation perçue comme moins menaçante.

Néanmoins, l’étude a des implications significatives. Les techniques pharmacogénétiques et les techniques IRMf utilisés par les scientifiques se révéleront probablement être d’une très grande utilité dans de nombreuses autres études menées sur les réseaux neuraux de la souris. En effet, Cornelius et son équipe ont déjà fait appel à une approche pharmacogénétique pour identifier des cellules, agissant comme un apport pour une autre région du cerveau, l’hippocampe, et qui relaient l’information afin de permettre à la souris d’évaluer un niveau approprié d’anxiété dans une circonstance désagréable.

Par ailleurs, nous, les êtres humains, réagissons également à la peur par des réactions de paralysie et des réactions d’évaluation des risques. Nous possédons une région de l’amygdale, analogue à celle qui chez la souris abrite le commutateur actif / passif. Les patients ayant des lésions dans cette région sont incapables de montrer des réactions conditionnées de peur, bien que leurs réactions à la peur soient normales dans d’autres situations. Ainsi, nous dit Cornelius, il est probable que les résultats de cette étude s’appliquent directement aux hommes.

Bien qu’il reste encore beaucoup de choses à découvrir sur la façon dont les êtres humains réagissent à la peur dans différentes situations, l’étude de la peur conduit les scientifiques à développer progressivement des traitements plus efficaces pour les pathologies liées à la peur, telles que les troubles de l’anxiété ou les troubles de stress post-traumatique. Comme le dit Marie Curie, deux fois lauréate du prix Nobel de chimie, « Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. »


References

Web References

  • w1 – Pour en savoir plus sur le Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (LEBM), voir: www.embl.org
  • w2 – Pour plus d’informations sur GlaxoSmithKline à Vérone, en Italie, voir: www.gsk.it
  • w3 – Pour en savoir plus sur l’Institut Italien de Technologie, voir: www.iit.it

Resources

Institutions

Author(s)

Sarah Stanley est diplômée en biologie de l’Université de Californie de Santa Barbara aux États-Unis. Au moment d’écrire cet article, elle était stagiaire en rédaction scientifique au Laboratoire européen de biologie moléculaire. Elle est actuellement stagiaire au magazine Discover.

Review

Dans cet article, plusieurs expériences sont été menées sur des souris (durant lesquelles le comportement ainsi que l’activité du cerveau ont été analysés) afin de comprendre en détails leurs réactions de peur. De telles recherches sont essentielles afin d’approfondir, de façon déterminante, nos connaissances sur le fonctionnement du cerveau humain.

Cet article peut être particulièrement utile pour les élèves souhaitant avoir un aperçu de la façon dont les recherches sont réalisées au sein des laboratoires scientifiques. Les enseignants peuvent faire participer leurs élèves en leur faisant lire l’article, puis réfléchir à la façon dont ils réagissent à la peur. Cet article peut même contribuer à l’élaboration et la réalisation d’une expérience. En outre, les élèves peuvent réfléchir aux bénéfices évolutifs de ces réactions pour nos ancêtres, et dans qu’elle mesure, elles sont utiles dans la vie moderne. De plus, les élèves peuvent chercher à découvrir des animaux ayant des réactions différentes de peur et essayer de faire le lien entre leurs comportements et leurs environnements.

L’utilisation de nouvelles techniques de recherche telles que la pharmacogénétique et de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est également mentionnée dans cet article. Les étudiants, âgés de 16 ans ou plus, peuvent essayer de trouver plus d’informations quant aux fonctionnements de ces techniques et à leur importance dans la recherche.

Enfin, cet article pourrait également être utilisé comme le point de départ d’une discussion sur la recherche animale. Les élèves pourraient ainsi mener une réflexion sur la façon de savoir comment les résultats obtenus à partir d’animaux peuvent être appliqués aux être humains. Ils peuvent aussi discuter des alternatives à l’expérimentation animale.

Mireia Guell Serra, Espagne

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